La collection suisse Hubert Looser compte en Europe parmi les plus remarquables collections privées d’art américain et européen après 1945. Elle conjugue notoirement les principaux thèmes de l’art américain et européen de la seconde moitié du XXe siècle avec des œuvres du surréalisme, de l’expressionnisme abstrait, du Minimal Art et de l’Arte Povera. Dans l’ensemble, son point fort est l’art abstrait, auquel s’ajoute ponctuellement le figuratif. L’« Arte Povera » constitue là un détour intéressant, par lequel Hubert Looser s’ouvre à la présence sensorielle immédiatement perceptible mais spirituellement chargée de la nature et de ses matériaux.

Après une première exposition au Kunsthaus Zürich en 2013, la collection a été transférée en 2021, sous forme de prêt longue durée, dans le bâtiment Chipperfield alors nouvellement inauguré. Le lien avec le Kunsthaus ne relève pas du hasard : dès le début, Hubert Looser avait envisagé sa collection comme un complément à celle du musée et l’avait conçue également pour combler les lacunes de celui-ci. La collection Looser vient donc idéalement compléter celle du Kunsthaus.

« Nature – Mythe – Abstraction », en exposant la collection, est constellée de mises en regard d’œuvres étasuniennes et européennes, avec un accent particulier sur Giuseppe Penone, l’un des représentants majeurs du mouvement Arte Povera né dans les années 1960. La notion d’Arte Povera, littéralement « art pauvre », a été introduite en 1967 par le commissaire et critique d’art italien Germano Celant, lequel entendait par là une création artistique sans les restrictions des pratiques et matériaux traditionnels. L’Arte Povera est un art axé sur l’espace et le processus ; il implique, à un niveau élémentaire, la nature, l’archaïque et le primal. Les œuvres de ce mouvement artistique sont souvent formulées comme des installations in situ et réalisées avec des matériaux « pauvres », autrement dit quotidiens, ordinaires.

L’Arte Povera va généralement de pair avec des positions abstraites et gestuelles. L’expression individuelle et créatrice dans la peinture et la sculpture, de Willem de Kooning à Sean Scully, est ici primordiale. Avec ces œuvres, Hubert Looser offre au public un accès unique à la peinture abstraite des USA.

Salle 1

Geste et structure

Les peintures de Sean Scully associent peinture gestuelle et forme minimaliste : les coups de pinceau couvrent délicatement la structure rigoureuse des bandes et des rayures.

L’expressionnisme abstrait de Willem de Kooning est une peinture du processus. Façonné par la mer et le paysage des Hamptons de Long Island, dans l’État de New York, son art abstrait et libre est en tension avec les aléas de la nature.

Fabienne Verdier, qui a appris la calligraphie asiatique en Chine, travaille désormais son tracé avec des pinceaux monumentaux et transforme le tableau en une mer effervescente et picturale.

Richard Long a créé, au cours de ses marches dans des régions reculées du monde, des marquages sculptés – aujourd’hui emblématiques du Land Art – qu’il a documentés avec des photos. Les agencements de matériaux naturels, qu’il définit comme des œuvres pour des espaces muséaux ou privés, sont également des témoignages de ses itinérances à travers la nature.

Anthony Caro soulève dans ses sculptures abstraites des questions élémentaires telles que la matérialité, le support ou les charges.

Salle 2

Arte Povera

Giuseppe Penone est, au sein de Arte Povera, le grand chantre de la nature. Grand geste végétal n°1 (1983) se ramifie avec une plasticité hybride et végétale. Branches, écorces et feuillages sont coulés en bronze pour former un objet sculpté. Dans L’impronta del disegno (2001), l’empreinte digitale de Penone marque le centre de l’image, entourée de lignes ondulées suggérant les cernes d’un arbre.

Le projet Concetto spaziale de Lucio Fontana traite de l’espace factuel dans la représentation et la sculpture. À partir de la fin des années 1940, l’artiste perfore ses toiles : les Buchi (trous, en italien) ouvrent ainsi l’espace derrière la toile en question. Dans celle présentée ici, des pierres scintillantes parsèment le bleu monochrome comme des formations d’étoiles dans le ciel nocturne. Les sculptures sphériques, que l’artiste a creusées de ses mains, révèlent l’intérieur béant du bronze.

Mario Merz jurait par les mythes et les univers ancestraux. Dans Vento preistorico dalle montagne gelate (1983), cet artiste de l’Arte Povera envisage de manière poétique et littéraire les données géographiques et climatiques de la nature à l’ère glaciaire.

Salle 3

La nature originelle et mythique

Avec Respirare l’ombra (2005), construction murale faite de feuilles de laurier, Giuseppe Penone transforme la salle en une zone poétique et olfactive. L’Arte Povera de Penone est un art axé sur l’espace et le processus ; il implique, à un niveau élémentaire, la nature, l’archaïque et le primal. Dans Ombra di terra (2003), l’artiste transforme la nature en art : des branches soutiennent un empilement triangulaire de briques superposées, sur la pointe duquel est marquée l’empreinte digitale de Penone. Il perçoit et saisit ainsi le monde, en le touchant.

Anselm Kiefer peint l’histoire de notre temps. L’œuvre montrée ici fait référence à la Grèce antique et au mythe de la Toison d’Or. Avec l’aide de Médée, Jason et les Argonautes ont dérobé la Toison d’Or – la peau du bélier ailé Chrysomallos – dans le bosquet sacré du dieu Arès. Sur le tableau de Kiefer, une chemise blanche doublée de feuilles d’or et incrustée dans le fond terreux de la toile, est tirée par un petit avion. Tout comme Cy Twombly à maintes reprises (voir ses œuvres dans la salle voisine), Kiefer ramène le vieux monde mythique dans le présent de notre perception.